Europe/Paris
Textes

Oui, à Mathias

May 1, 2006
Jean-Pierre Verheggen
Singulièrement, le premier livre que j’ai publié chez Mathias Pérez s’intitulait Devoirs de Vacances, et voilà — ou plutôt, ne voilà-t-il pas ! ironie du sort — que la rentrée scolaire, cette maudite rentrée scolaire, avec ses contraintes administratives et ses impedimenta professoraux, m’empêche, comme je l’aurais souhaité, de venir en parler, ici. De venir témoigner ! D’avoir toujours eu — et gardé ! — le sentiment que la collection Carte Blanche dans laquelle il s’inscrivait, répondait parfaitement au sens même du titre dont elle s’était autorisée. Qu’elle donnait, effectivement, carte blanche : c’est-à-dire, à mes yeux, ce droit de réponse inventif face aux crises éditoriales et autres, et cette liberté polémique dans la modernité. La modernité résolument moderne ! Devoirs de Vacances était un petit livre qui essayait de relever de cet esprit. Un petit livre, bref et joyeusement iconoclaste — le contraire absolu d’un pensum ! — traversé, débordé, dans son imprimé par une aquarelle de Mathias lui-même, extraite de sa série des années 83-85, sa série des ogives. Terme que je reprenais à mon compte signifiant, pour tenter d’en épuiser tous les sens possibles en les sursaturant, comme à mon habitude, du plus grand nombre de mes fantasmes. L’ogive, rappelons-le, est tout de même, et avant tout, un arc bandé. On ne peut pas y couper ! Du reste, la correspondance que j’entame, à l’époque, avec Mathias (que j’appelle : Gallimarthias Pérez, selon mon propre galimatias personnel !), la toute première correspondance à propos de Devoirs de Vacances, débute par une petite carte postale que je lui adresse, de passage dans la région de Metz, depuis Jouy-aux-Arches. À cause de ce Jouy, tout à fait Joycien, évidemment, et non de la découverte panoramique d’un quelconque Pont du Gard lorrain ! On l’aura compris ! À regarder de plus près ces aquarelles, je pensais d’ailleurs, moins à une bite de pont ou à une érection de cathédrale (ça s’érige, non ?) qu’au petit sexe, cocasse et déturgescent, de ce merveilleux Achille que Cy Towmbly a dessiné, crachouillant, tout robinet ouvert, foute-foute, foute-foute, toute sa colère, haute en couleur, à coups de crayon gras. Ou d’autres fois, à ces jambages malhabiles — petits ponts vicieux et petites jambes tordues ! — de ce pont aux ânes obligés qu’est notre première écriture scolaire, si éprouvante. Ou encore, les jours de liberté, aux cintres lourds des gardes-robes obscures dans lesquelles nous nous engouffrions, déguisés, travestis déjà, troublés à jamais ! Plus grands, enfin, aus immensess portes cochères masquant nos premiers jeux interdits d’apprentis sorciers — apprentis docteurs, devenant très vite, cela va de soi, diplomés, lauréats, Docteurs Clitoris causa ! Bref ! ce qui me paraissait lumineux — comme si c’était l’enfance de l’art — c’est qu’on ne pouvait « entrer » dans cette peinture qu’en acceptant de regarder, et lire soi-même, le roman (noir, viandeux, excorié, puant et magnifique, infantile et obscène) de notre propre corps, retourné. Mathias Pérez, lui-même, dans le texte que lui consacre sous ce titre Le Roman des Corps, Bernard Noël (1), n’emploie-t-il pas pour désigner le coup final de son poignet et le point d’orgue de son désir, l’expression : « monter en couille ». Ou, ici et là, « toucher, touiller, frotter, tirer une giclée, couler, tremper, laisser tremper, couvrir ». C’est beau couvrir ! c’est comme pour les animaux quand ils font leur monte de chaleur, leur rut saccadé. C’est cocher, coïter. C’est comme dans les cabanons gonflés de volailles criardes ou de lapins lascifs. Comme dans Porches-Porchers, le second livre que j’ai fait, avec plusieurs peintures de Mathias Pérez, et qui n’est pas seulement la matrice primitive de ce qui allait devenir Pubères, Putains mais un texte sur ce chef-d’oeuvre de la peinture cochonne qu’est cette Tempesta de Giorgione dont parle également Prigent, dans cet autre chef-d’oeuvre de l’écriture cochonne, qu’est son Commencement (2). Giorgione, le sporcaccione, le gros sale comme je l’écris avec ce côté gros rat reisérien. Traîné dans la boue. Traîné dans la soue. Convoqué pour nous rappeler que si l’écrivain a à écrire l’écriture, le peintre se doit, lui aussi, de peindre la peinture : la peinture sale — autant dire fraîche ! — et l’écriture cochonne ! L’écriture avec un os ou ce bourbon rimbaldien agacé par cent sales moucherons. La peinture avec un bâton, un aiguillon crotté ou un pique-boeuf ! La peinture plein les guêtres ! Bref, je veux dire, pour faire court, qu’il y a une animalité magnifique dans tout cela : Animalthias Pérez, je te salue ! Écrire en effet, — et sans doute, peindre, j’en suis de plus en plus convaincu ! — c’est, comme j’ai tenté de le dire à la fin d’Artaud Rimbur (3), « faire et aligner des bâtons ! C’est en baver des chuintés et en chier des mous ! C’est chier dans ce trou ! C’est devenir soi-même, un bâton ! Etre le bâton cochon de ce corps — mal fait, mal conçu, mal planté et mal baisé — qu’on nous a cochonné ! C’est tenter, jour après jour, d’en esquisser le contour et d’en débaucher le brouillon ! Tenter d’actionner — avec une folle envie concomitante de tout bousiller ! — cette saloperie de colonne à pression qui nous sert de prothèses à langues ! C’est tenter de l’amocher ! De l’écrabousiller ou d’en boucher le daleau ! De la bourrer ou mâchurer de mots ! De la barbouiller de bamboula ! De la peinturlurer aux couleurs, très peu françaises, de ce qui en sourd ou s’y tait, dans l’hystérie crispée d’une motilité sans nom ! C’est tâcher des noms là-dessus ! Tâcher de dénouer ce rébus et de désigner cet os, par où et par quoi, — quoi qu’on fasse ! on l’a dans l’os ». 1 Noël, Bernard, Mathias Pérez ou le Roman des corps, in Mathias Pérez, L’État des lieux, La Différence, 1988. 2 Prigent, Christian, Commencement, P.O.L, 1989. 3 Verheggen, Jean-Pierre, Artaud Rimbur, La Différence, 1990.
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